Parce qu'il faut bien consulter un jour .. [PV Rachel]

Lisbeth était lovée dans le canapé de la salle d'attente pour voir la .. psychologue. Cela faisait un peu plus de dix minutes qu'elle attendait. Dix minutes de retard. Encore cinq minutes et elle partirait. Elle demanderait sûrement une autre rendez-vous. Pas de bon coeur bien-sûr. En effet, notre chère jeune femme n'était pas là de son plein gré. Si ça n'avait tenu qu'à elle, elle n'y serait pas aller. Elle n'aurait même pas prit un rendez-vous. Mais voyez-vous, quelqu'un qui a été interné dans un hôpital psychiatrique est forcément suivit. Ce n'était d'ailleurs pas elle qui avait prit ce rendez-vous mais un de ces anciens psy.

Il aurait dû se poser plusieurs fois la question. Lisbeth n'avait jamais répondu à leurs questions, et ce n'était pas maintenant qu'elle allait commencer. C'était complètement débile de l'envoyer là en fait. Cela ferait une heure ou plus de perdue et des blancs interminables. Un nouveau diagnostique basé sur des observations qui pouvaient être mal interprétées.Enfin bref, c'était totalement inutile. En attendant, elle était assise là, regardant l'heure sur son téléphone toutes les deux secondes. Plus que 3 minutes et elle partait.

Elle allumait une cigarette, se préparant mentalement pour ne rien dire. Elle tira une ou deux bouffées du bâton avant de caler un coussin entre ses bras, soupirant légèrement. La pauvre psycholoque allait avoir affaire à un mur. Lis' tira une nouvelle fois sur la clope quand elle entendit la porte s'ouvrit. Elle consulta l'heure une nouvelle fois. Dommage, à une minute près elle aurait pu partir. Elle se releva lentement, éteignit la cigarette et la balança dans la poubelle. Elle ignora le bonjour de la psy et rentra dans la salle pour s'installer sur une chaise en face du bureau.

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Rachel prit le temps de vérifier certains dossiers, y ajoutant des annotations personnelles selon les cas, en attendant son prochain rendez-vous. Sur Lisbeth Swensonn, elle ne savait pas grand chose, si ce n'est qu'elle était tenue d'être suivie régulièrement comme un libéré sur parole par un agent de probation. Elle avait effectué un séjour en hôpital psychiatrique et c'était l'analyste de la jeune femme qui avait prit contact avec elle pour établir ce rendez-vous. Il lui avait juste demandé de garder un oeil sur elle et de le tenir informé si elle pensait que l'état de mademoiselle Swensonn était inquiètant. Même si elle était psychologue, elle savait que le psychiatre ne considérait pas son domaine comme faisant partie de la médecine. Il voyait plus ça comme du domaine social.
Réprimant un soupir, Rachel rangea ses dossiers et se leva pour aller ouvrir la porte, moins d'une minute avant l'heure du rendez-vous. La jeune femme qui se tenait sur la chaise se leva avant d'éteindre sa cigarette et de la jeter dans la poubelle. Sans un mot, elle pénétra dans le bureau et prit place sur la chaise, ignorant délibérément de répondre à son bonjour. Rachel referma la porte calmement et revint à son bureau, s'installant sur sa chaise en fixant la jeune femme.

- Vous n'avez pas envie d'être là, mademoiselle Swensonn, je peux le comprendre, lui assura-t-elle. Il ne me plait pas plus qu'à vous de devoir vous suivre par obligation.

Lisbeth conserva son mutisme et la jeune femme en déduisit qu'elle avait décidé de rendre cet entretien stérile. L'heure risquait d'être longue pour les deux, très longue, et Rachel n'aimait pas s'écouter parler.

- J'ai lu dans votre dossier que vous aviez été internée suite à plusieurs tentatives de suicide, continua-t-elle cependant. Vous êtes accro aux drogues, aux médiacaments, à l'alcool, sujette à la paranoïa, aux allucinations...Arrêtez-moi si je fais erreur, vous avez également été violée par votre père.

Toujours aucune réaction chez la jeune femme. Rachel referma son dossier et se laissa aller contre le dossier de sa chaise, la dévisageant attentivement avant de poursuivre :

- J'avoue que je suis perplexe, mademoiselle Swensonn. Malgré tout ce qui vous est arrivé, malgré cette propension à votre propre destruction, vous êtes inscrite à l'université de votre plein gré. Vous n'avez, à ce jour, sèché aucun cours ni provoquer la moindre altercation au sein de l'établissement. Alors une question s'impose à moi... Êtes-vous réellement un cas clinique ou êtes-vous si bonne comédienne que vous avez réussi à vous faire passer pour tel ?

La jeune psychologue s'assit en face de Lisbeth, maitrisant un calme parfait. Premier étonnement pour Lis'. Normalement, lorsqu'elle faisait ça, elle avait droit à une mimique légèrement troublée, voire énervée. Bien sûr ... Vous, accepteriez-vous que l'on ne réponde pas à ce simple bonjour, pourtant base de la sociabilité ? Je ne pense pas .. Enfin bref. Lisbeth fixa un instant la jeune femme de ces prunelles bleues, qui penchaient légèrement vers le gris. Elle chercha ensuite un point dans la salle et y fixa ses yeux le temps que dura l'énonciation de son dossier.

Elle l'avait entendu des milliers de fois. Elle se demandait cependant pourquoi ils n'avaient pas mis en PS : ne répond pas aux questions. Cela aurait évité un bon nombre d'entretiens inutiles. Enfin passons. Elle ne releva les yeux vers la jeune psychologue que pour sa dernière phrase. Deuxième étonnement. La demoiselle pouvait d'ailleurs le lire dans ses yeux. Légèrement troublés ... avant de retrouver un neutre d'une perfection absolue. Lisbeth réfléchit quelques instants. C'était la première fois qu'on doutait de sa 'maladie mentale'. Elle ouvrit la bouche pour répondre mais la referma aussitôt. Elle hésitait. Elle était persuadée que la personne en face d'elle n'allait pas comprendre. Enfin, pas comprendre ce qu'il fallait comprendre. Après quelques minutes à peser le pour et le contre, elle rouvrit la bouche :

- " Je ... disons que ... hmm "

Pas très enrichissant comme conversation ... Enfin, elle ne savait pas vraiment pas quoi lui répondre. Elle ne s'était jamais posé la question. En un sens, elle avait accepté l'idée qu'elle avait un problème mental. Au bout de quelques nouvelles secondes, elle retrouva son assurance. Elle réfléchit encore à ce qu'elle allait dire, histoire de ne pas se griller non plus, et reprit la parole.

- " Mes propos seront sûrement confus .. Disons que je n'ai jamais adressé la parole à un psy .. Je n'ai jamais vraiment réfléchit à la question non plus. Mais dans un sens, vous avez bien cité mon dossier. Il y est bien écrit paranoïa ... C'est considéré comme une maladie mentale .. non ? "

Elle marqua un nouveau temps d'arrêt. Elle faillit dire, au moins une chose qui est vraie, mais elle ne voulait pas se dévoiler. Enfin, pas encore.

- " Et ... Je ne veux pas retourner en France. Surtout pas. Je ferai tout pour rester ici. Et une rectification s'impose. Ce n'est pas moi qui me suit inscrite. Ce sont ces espèces de connards. Ils profitent bien de mon fric ! "

Lis' referma rapidement la bouche. Elle en avait trop dit. Beaucoup trop dit. Elle lâcha les yeux de la jeune psy pour retourner regarder fixement le point qu'elle s'était choisie. La jeune femme pouvait être contente. Elle avait arraché les premiers mots que Lisbeth n'avaient jamais dit. A un psy.

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Rachel ne s’était pas formalisée de ne pas recevoir de salutation en retour de la sienne. A vrai dire, ayant un problème pour tendre et serrer la main d’autrui, elle évitait soigneusement de s’outrer quand elle rencontrait quelqu’un qui lui épargnait une montée d’angoisse. Après avoir été jaugée du regard par la jeune femme, celle-ci chercha et trouva un point à fixer, voulant sans aucun doute marquer sa profonde indifférence à tout ce qu’elle pourrait lui dire par la suite. Cela ne voulait pas dire qu’elle ne l’écouterait pas et Rachel savait que ce n’était qu’un réflexe naturel d’auto-défense.

Ce n’est néanmoins qu’à la fin de sa prise de parole que Lisbeth daigna tourner à nouveau les yeux vers elle, légèrement troublée par ce qu’elle venait de dire. Cela ne dura qu’une fraction de seconde. Si Rachel ne l’avait pas fixé avec attention à cet instant, elle ne s’en serait sans doute pas rendu compte tant ça avait été fugace. Quelques minutes s’écoulèrent dans un silence absolu, la jeune femme ouvrant la bouche pour la refermer presque aussitôt, hésitante et songeuse. Elle finit par balbutier, toujours avec la même indécision avant de reprendre l’assurance qui était la sienne à son entrée, pour lui confier n’avoir jamais parlé un psy et lui dire qu’elle avait bien lu son dossier, demandant encore si la paranoïa n’était pas une maladie mentale.

- En effet, répondit-elle. Toutefois, il y a une différence majeure entre avoir une personnalité paranoïaque et être paranoïaque. La première est souvent exempte de délires alors que la seconde en général les cumule.

Elle écouta attentivement les propos suivants de Lisbeth, se demandant pourquoi elle insistait si fermement sur son désir de ne pas retourner en France, auprès d’eux. Se demandant qui étaient ceux qui profitaient de son « fric », elle laissa cela sur le côté pour l’instant pour se concentrer sur l’essentiel, elle. Pendant de longues minutes, elle considéra les faits à proprement dit, reliant et croisant ceux de son dossier médical avec son dossier scolaire et la jeune femme qui se tenait devant elle.

- Je peux certes me tromper, mais j’aurai tendance à penser que vous n’êtes pas une personnalité paranoïaque, mademoiselle Swensonn. Dans notre métier, il existe ce que nous appelons des personnalités sensitives. C’est un type de personnalité paranoïaque qui se caractérise par une haute estime de soi-même qui pousse à croire qu’on ne nous reconnaît pas à notre juste valeur, une hyperesthésie relationnelle également. Celle-ci entraîne une grande vulnérabilité dans les contacts sociaux et une tendance à l’autocritique, à l’intériorisation douloureuse des échecs et à la susceptibilité.

Elle s’interrompit une seconde pour considérer à nouveau Lisbeth avec attention et poursuivit :

- Ce type de personnalité peut évoluer en paranoïaque si on y prend garde et je pense que c’est ce qui s’est passé avec vous… D’ailleurs, le suicide est souvent plus caractéristique des personnalités sensitives. Mais à force de rencontrer des personnes voire des médecins qui ont conclu à votre paranoïa, j’imagine qu’il y a de quoi devenir méfiant... Qu'en pensez-vous ?

Rachel avait besoin de connaître son opinion, c'était important pour qu'elle puisse confirmer ou infirmer son analyse.

A la fin de la tirade de Lisbeth, marquée par une erreur, la jeune femme assise en face d'elle relut son dossier. Lis' attendit la suite, maitrisant un calme parfait. Elle plongea son regard dans celui de la psy lorsqu'elle reprit la parole. Une personnalité sensitive ? Peut-être ... Sûrement même. Très sûrement. Le rapport de psychiatrie était de toutes façons erroné. Un rapport rédigé sur de simples observations ne peut être exact. Comment savoir si une personne est paranoïaque si elle refuse systématiquement de vous adresser la parole ? C'était une bonne question.

En attendant, le regard de Lisbeth était vide. Elle pensait. C'était une situation assez nouvelle pour elle puisqu'on ne lui avait jamais demandé son avis, que de toutes façons, elle n'aurait pas donné. Elle crispa très légèrement les mâchoires. Alors ... Ce n'était que du mime depuis des années ou c'était un vrai problème mental ? Très certainement la première solution mais elle ne se l'avouerait jamais. Tout était si simple lorsqu'on est déclaré malade mental. On peut se retrancher derrière cet 'handicap'.

En tout les cas, cette Rachel commençait sérieusement à faire douter Lisbeth. Elle venait de briser sa résolution en quelques phrases habilement prononcées. Celle-ci soupira un bon coup. Elle fit un battement de sourcils très léger avant de reprendre ses esprits. Elle fixa intensément la jeune psy.

- " C'est un diagnostique ... intéressant. Peut-être que vous aviez raison et que tout ceci n'est qu'un stratagème ... Ou tout simplement que c'est plus simple d'être considéré comme arriérée ... "

La jeune femme se tut. Elle venait de révéler une nouvelle facette de sa personnalité. Facette qu'elle ne voulait pas dévoiler. Il fallait juste espérer que la psy ne l'interprèterait pas de la bonne façon. Il ne fallait pas non plus qu'elle conclut que Lis' était une manipulatrice assez talentueuse. Enfin ... Lisbeth glissa sa main dans son sac et en sortit un paquet de cigarettes. Dans son automatisme le plus total, elle apporta une main légèrement tremblante et qui tenait la cigarette à sa bouche. Elle s'apprêtait à l'allumer quand, se rendant enfin compte de ce qu'elle faisait, elle releva la tête vers Rachel :

- " Excusez-moi ... Cela vous dérange si je fume ? "