"Soirée au foyer" [Pv Jennah]

Un vendredi soir comme les autres au campus de la Kiss-University. Après la fin des cours et que la majorité des élèves ayant prévu quelque chose pour le week-end, que ce soit une sortie en boîte ou une séance de cinéma, le calme revint dans les dortoirs. J’avais commencé par me débarrassé de mes devoirs à rendre début de semaine suivante avant de prendre une douche et de revêtir un jean et un pull rouge rayé noir. Je n’avais rien de prévu pour la soirée et je n’avais pas envie de sortir. Je décidais de me rendre au foyer des étudiants. Je n’y avais pas encore mis les pieds depuis le début de l’année et quand j’y entrais, je balayais la pièce du regard. Vaste salle aménagée en différents espaces de loisirs.

Le premier sur ma gauche est pourvu d’un billard, d’un kicker et de plusieurs tables avec des jeux d’échecs notamment, assez bien éclairé et les murs dans les tons rouges vifs. Au centre, la salle télé avec de larges canapés en cuir beige et un écran plasma de 102 centimètres. Il y a également des poufs et des tables basses. Enfin, sur ma droite, un espace bibliothèque. De larges étagères en bois sur lesquelles s’étalent des livres, des fauteuils en cuir marron et même un feu ouvert. Un luxe tout de même.

Il n’y avait pas grand monde à cette heure. Un garçon avachi sur le canapé regardant un match de catch débile et un groupe de quatre filles aux airs pas commodes qui jouaient au billard. Je passais du côté de la bibliothèque, m’approchant d’une étagère pour consulter du regard les titres des livres avant de saisir l’un d’entre eux : « Les Misérables » de Victor Hugo. Je m’installais ensuite confortablement dans un fauteuil et commençais ma lecture, me laissant emporter des les premiers mots par l’auteur.

Je terminais le premier chapitre et allais passer au suivant quand, levant le nez un instant, je remarquais la présence d’une élève dans la pièce. Elle semblait indécise, comme si elle n’était pas certaine d’avoir envie de lire et je demandais d’un ton amical :

- Je peux t’aider ?

Son léger mouvement de surprise m’indiqua qu’elle n’avait pas même remarqué ma présence, sans doute absorbée par ses pensées. J’esquissais un sourire en l’entendant dire qu’elle n’était pas certaine de vouloir lire, alors qu’elle se tenait face à des étagères remplies d’ouvrages et dans le coin bibliothèque du foyer. Je me demandais ce qu’elle voulait fuir avant de m’étonner moi-même de tirer cette conclusion hâtive sur la seule base qu’elle hésitait à lire ou non. Sans doute la force de l’habitude. J’avais passé tellement de temps à fuir mes sombres pensées, mes souvenirs en cherchant de quoi les étouffer, les repousser au plus loin et le plus longtemps possible, que j’arrivais à repérer ce besoin chez les autres à présent. Je fus tiré de mes propres pensées par ses excuses et écoutais plus attentivement lorsqu’elle se présenta.

Jennah parue surprise, du moins c'était ce que semblait indiquer son haussement de sourcils que je lui propose mon écoute à cet instant. Elle finit par se laisser tomber sur un petit fauteuil et j'esquissais un sourire en l'entendant me demander si ça transparaissait autant que ça.

Elle suggéra ensuite que j'avais certainement mieux à faire que d'écouter ses problèmes de coeur et laissa entendre qu'elle avait été plaquée par un garçon, pour une raison qu'elle ne voulait pas dévoiler visiblement, par gêne sans doute. Il pouvait avoir bien des raisons pour rompre avec une fille. Certains larguaient dès lors qu'ils avaient obtenu quelque chose de physique, d'autres parce qu'ils les trouvaient collantes, d'autres encore parce qu'ils n'étaient pas ou plus amoureux tout simplement. Certains encore rompaient pour ne pas blesser une fille, parce qu'ils estimaient que leur passé était trop compliqué et qu'ils n'étaient pas prêts à s'investir dans une nouvelle relation. Enfin, et ceux-là étaient sans doute les plus minables, certains hommes quittaient les filles qui ne voulaient pas franchir le pas.

Bien que je ne connaisse pas son passé, sa gêne me fit penser que ça devait être son cas, mais je ne me lançais pas sottement sur cette conclusion, esquissant un sourire en répondant :

- Si tu crois qu'un garçon ayant vu le fantôme de sa femme tous les jours au cours des trois années passées et qui la voit encore de temps en temps peut écouter et comprendre, je suis la bonne personne à qui te confier.

J'espérais ne pas l'avoir effrayé avec mon histoire de revenante et qu'elle ne me fuirait pas comme la peste. A vrai dire, je n'avais parlé de ma femme qu'avec Ilina, même si pas mal d'étudiants étaient au courant qu'elle était morte et que j'avais un fils. Ce n'était pas un sujet que j'abordais facilement avec des amis, encore moins avec des étrangers en général, mais je me sentais à l'aise en compagnie de Jennah et si je voulais sa confiance, il était normal de commencer par être franc avec elle.

- J'ai été marié, repris-je donc calmement. Ma femme est morte en donnant naissance à notre fils voici quatre ans... J'ai longtemps culpabilisé, me sentant responsable de sa mort, tu comprends ? Si je ne l'avais pas mise enceinte, si je ne l'avais pas épousé, elle serait peut-être encore en vie...

Je me passais une main derrière la nuque en poussant un soupir pour chasser ces sombres pensées. J'avais fini par faire mon deuil, enfin. Ilina m'y avait beaucoup aidé grâce à son innocence, à sa joie de vivre. J'avais laissé le fantôme de ma femme gagner l'endroit où elle reposait en paix, même si elle me revenait de temps à autre.

- Comme je le disais, au cours des trois années précédents celle-ci, elle ne m'a guère quitté un seul instant. Je sentais sa présence autour de moi, je la voyais et lui parlais comme je te parle. Elle me répondait aussi... Et puis un soir, elle a guidé mes pas vers la lumière... vers le pardon... Je dois te paraître complètement dingue là, non ? fis-je avec un sourire contrit.

C'était déjà un miracle qu'elle n'ait pas fuit dès que j'avais parlé de fantôme alors je supposais que je pouvais m'estimer heureux qu'elle n'aie pas prit ses jambes à son cou après avoir entendu le reste. Je ne prétendais pas que c'était facile à comprendre, à admettre même, mais tel était mon passé.

- Ce que je veux dire, c'est que nous portons tous nos secrets plus ou moins bien cachés, mais que certaines personnes ayant porté de plus lourds que d'autres savent reconnaître les signes chez les autres par la suite... d'où mon offre.